Bamako : calme relatif après  les émeutes d’hier
Affrontements hier entre manifestants et forces de l'ordre (Crédit AFP)

Bamako : calme relatif après les émeutes d’hier

La situation est redevenue calme aujourd’hui à Bamako. Hier de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont fait un mort et plusieurs blessés dont certains graves selon un premier bilan officiel. Plusieurs centaines de personnes ont défilé pour demander la libération de l’animateur de radio Mohamed Youssouf Bathily dit « Ras Bath ». Les rassemblements ont dégénéré en échauffourées.

Selon le Procureur général de la Cour d’appel de Bamako, Mohamed Youssouf Bathily n’est pas poursuivi pour des délits de presse, mais pour « offense à la pudeur ».
Son audition hier a occasionné des échauffourées. Plusieurs centaines de manifestants ont assiégé durant toute la journée les locaux du Tribunal de Grande Instance de la commune IV.
Selon un membre du mouvement « SOFA » dans lequel milite Ras Bath, les violences auraient fait deux morts parmi les manifestants. Ce bilan n’a pas été confirmé par la police qui parle d’au moins un tué par balle. Toutefois les autorité ont démenti l’usage par les forces de l’ordre de balles réelles pour disperser les rassemblements.
Suites aux manifestations d’hier, les plateformes Facebook et Twitter ont été bloqués. Les responsables du ministre de la communication et de l’information numérique ne souhaitent pas à ce stade, faire de commentaire.
Aujourd’hui, la ville de Bamako était calme, il n’y a pas eu de rassemblement. Selon Me Abdramane Touré, avocat de Mohamed Youssou Bathily, son client devrait-être libéré prochainement , mais affirme-t-il la procédure judiciaire suivra son cour normal.
Hier le Procureur général, de la Cour d’appel de Bamako s’est exprimé sur le mobile des poursuites contre Mohamed Youssou Bathily. Selon lui, le Parquet prendra toutes ses responsabilités dans cette affaire.

Mohamed Lamine Coulibaly, procureur général, près la Cour d’Appel de Bamako :
« Depuis quelque temps on a remarqué que Mr Bathily s’adonne à des déclarations qui offensent la pudeur et qui heurtent le sentiment national des particuliers qui en sont témoins sans avoir cherché à l’être. Ces faits et comportements sont prévus et réprimés par le Code pénal. Nous avons décidé d’arrêter l’hémorragie parce que ça ne pouvait pas continuer et nous avons ouvert une enquête qui a abouti à sa garde à vue. Les délais de sa garde à vue seront scrupuleusement respectés. Mais naturellement s’il y a lieu de prolonger on le fera. Le parquet n’hésitera pas à prendra toutes ses responsabilités dans cette affaire comme dans toutes les affaires. Il n’est pas poursuivi pour des délits de presse. Il est poursuivi pour des délits de droit commun. Nous n’avons rien contre la presse. Nous sommes dans un pays qui respecte les droits de réunion, la liberté d’association, la liberté d’opinion et d’expression seront garantis, nous y veillerons. Nous protégerons ces droits là ».
Pour des spécialistes du droit, si Mohamed Youssouf Bathily doit être poursuivi, il doit l’être dans le cadre d’un délit de presse et non pour une affaire de droit commun, comme explique le Procureur général. Selon eux, dans le cas présent c’est le droit spécial sur la presse qui doit s’appliquer.
Me Amadou Tiéoulé Diarra, est avocat au barreau malien. Il est joint par Issa Fakaba Sissoko :
« Quand on a le statut d’un animateur et qu’on est interpellé, normalement on applique à la personne le droit spécial de la presse. Et ce droit spécial de la presse est tellement précis qu’il va jusqu’à s’appliquer aux revendeurs de journaux à plus forte raison qu’un animateur. Le support de la poursuite, normalement c’est l’information qui a été diffusée sur la base d’une radio, de la télévision ou d’un journal qui a servi de support. Maintenant qu’on aille jusqu’au bout. On ne peut pas scinder les deux : poursuivre le complice ou l’auteur principal sur la base du droit commun. Dans ce cas la radio va être poursuivie sur quelle base ? Les journaux ou Facebook qui ont diffusé vont être poursuivis sur quelle base ? C’est ça la question de fond. Ayons le courage de dire que c’est le droit spécial qui s’applique, c’est à dire l’ordonnance de 2000. Et par contre si celui-ci est appliqué, je ne vois pas ce qu’il fait au camp I ».

Suite aux manifestations , l’accès aux réseaux sociaux a été suspendu au Mali. Depuis hier après midi, impossible d’accéder aux plateformes Facebook et Twitter. La communauté des blogueurs du Mali s’insurge contre ce qu’elle qualifie de « privation de liberté » et se pose dit-elle, en « victime collatérale d’une situation que l’État a laissé pourrir ». Elle exige que l’Etat s’investisse à « réglementer le secteur pour une utilisation judicieuse des réseaux sociaux ».

Fatoumata Harber est la Secrétaire générale de la communauté des blogueurs du Mali. Elle est jointe au téléphone par Issa Fakaba Sissoko :
« Le bloging porte sur beaucoup de choses. On parle de politique. Mais nous parlons d’autres choses aussi : développement, entrepreneuriat. Et lorsque ces réseaux sociaux sont bloqués il va de soit que nous soyons des victimes collatérales de cette situation. Puisque vous n’êtes pas sans savoir que M.Bathily a été annoncé comme blogueur sur certaines ondes. M. Ras Bath n’est vraiment pas blogueur. Il ne l’est pas et il n’a jamais été. Peut-être que c’est un utilisateur des réseaux sociaux, il a utilisé Facebook pour rallier certaines personnes à ses idées, ou bien à son mouvement, cela va de soit. Mais lui, il n’est pas un blogueur. Il faut une déontologie du blogueur. Être un blogueur n’est pas s’en prendre à qui on veut, ce n’est pas se proclamer expert pour dire ce qu’on veut sur qui on veut. Le blogueur peut facilement se faire attaquer en justice ».
L’AMDH, la CNDH et WILDAF-Mali ont condamné l’utilisation excessive des armes létales dans le maintien d’ordre et appelé les autorités à identifier les responsabilités et à les sanctionner. Elles exhortent les autorités judiciaires à faire toute la lumière sur les conditions d’arrestation de Mohamed Youssouf Bathily, tout en réaffirmant leur attachement indéfectible à la liberté d’expression et à l’Etat de droit.